Madame est servie.
La Couleur des sentiments – Kathryn Stockett
Jackson, Mississippi, 1962. Les lois raciales font autorité. Les Blancs ne conçoivent de partager leur quotidien avec des Noirs que dans un rapport employeur-employés. Aibilee, la raisonnable et Minny, la tempétueuse, sont des bonnes parmi tant d’autres qui peuvent récurer leur maison, s’occuper des repas et même élever leur enfants mais en aucun cas fréquenter leur bibliothèque, s’asseoir près d’eux dans un café ou encore leur adresser la parole sans y être autorisées. Elles subissent tour à tour, mépris, humiliation et différence de leur patronnes issue de la bourgeoisie de Jackson. Mais une banale histoire de toilettes séparées réveillera chez la jeune Steeker – une blanche de la Haute élevée pour une bonne Noire qu’il a aimé comme une mère- un sentiment d’injustice et d’hypocrisie dont elle ne pourra plus se défaire et la poussera à accomplir l’impensable : prendre en compte le point de vue de bonnes.
Ah qu’il est bon de tordre le cou à ses préjugés ! Cela fait des mois que mon amie T. me pousse à lire ce roman. Mais l’histoire, le titre me laissaient penser que ‘ouais, non, j’chais pas trop, je sens que ça va être plein de bons sentiments et larmoyant à souhait’. Et croyez moi je déteste ces films et ces livres programmés pour vous faire pleurer (surtout que sur moi ça marche à tous les coups !). Et bien non vieille bourrique de Bichon qui pense sans savoir, ce roman et tout simplement formidable.
Une fois entamé, on ne peut plus le lâcher (j’en ai même rêvé quasi chaque nuit, véridique!). Kathryn Stockett réussi brillamment à dépeindre cette époque (pas si lointaine) et ces rapports sociaux sans démagogie ni pathos. Nous ne sommes pas là pour pleurer sur la condition de ses femmes et pourtant ce qu’on peut les aimer ! Je ne souviens pas m’être autant attachée à des personnages (hormis Flicka, dans son ranch, quand j’avais 10 ans…elle était super Flicka). La Couleur des sentiments apparaît plus comme un constat que comme une dénonciation de cette période qu’on aime à croire révolue.
Outre sa qualité d’écriture, la force de ce roman réside dans l’idée savamment menée par l’auteur de présenter une même histoire mais de trois points de vue différents. Au gré des chapitres on passe avec délectation du récit d’Aibileen à celui Minny et Miss Skeeter. Et je tiens à souligner que j’ai rarement lu un roman qui se termine si indéniablement ‘pile’ au bon moment.
Bref, si vous faites encore parti des rares personnes à ne pas avoir lu ce roman, n’hésitez plus et plongez dedans (je en sais pas pourquoi impossible de terminer ma phrase sans faire une rime pourrie…).
‘Elle évoque son premier emploi à l’âge de treize ans, quand elle astiquait l’argenterie à la résidence du Gouverneur. Elle raconte comment, dès sa première matinée, elle s’est trompée en notant la liste des pièces du service servant à vérifier que les domestiques n’avaient rien volé. « Je suis revenue à la maison ce matin-là, après qu’on m’ai renvoyée, et suis restée dehors avec mes chaussures toutes neuves. Les chaussures qui avaient coûté autant à ma mère qu’un mois d’électricité. C’est à ce moment, je crois, que j’ai compris ce qu’était la honte, et la couleur qu’elle avait. La honte n’est pas noire, comme la saleté, comme je l’avais toujours cru. La honte à la couleur de l’uniforme blanc tout neuf quand votre mère a passé une nuit a repasser pour gagner de quoi l’acheter et que vous le lui rapportez sans une tâche, sans une trace de travail »’
La Couleur des sentiments – Kathryn Stockett – 608 pages - Babel